Eco-quartiers.fr - Le blog - Avril 2013 - Il faut cultiver notre jardin urbain (4/6) L’agriculture urbaine : dépense ou investissement ?

Nous avons vu, dans les épisodes précédents, les effets positifs de l’agriculture urbaine, tant au niveau écologique que d’un point de vue social. Mais qu’en est-il de l’économie ? L’agriculture urbaine est-elle rentable, et son cout écologique n’est il pas sous-évalué ?...

Il faut cultiver notre jardin urbain (4/6) L’agriculture urbaine : dépense ou investissement ?

Detroit Crédits: Radio Canada
Nous avons vu, dans les épisodes précédents, les effets positifs de l’agriculture urbaine, tant au niveau écologique que d’un point de vue social. Mais qu’en est-il de l’économie ? L’agriculture urbaine est-elle rentable, et son cout écologique n’est il pas sous-évalué ? C’est souvent lorsque l’on aborde l’aspect économique que le débat coince, et que les projets d’agriculture en ville se heurtent à un mur.

  • L’autonomie alimentaire est-elle une nécessité ?
C’est une question qui ne se pose pas pour de nombreux pays d’Amérique du sud ou d’Afrique où l’agriculture urbaine est un élément indispensable à la survie de nombreuses populations, un phénomène que la crise économique ne fait qu’amplifier. Ainsi, le Food Sovereignty Project (projet pour la souveraineté alimentaire) est né en Egypte suite à la révolution de 2011, et nombreux sont aujourd’hui les cairotes qui cultivent sur leurs toits leurs propres légumes. Au Sénégal, on peut observer des initiatives comparables bien antérieures : depuis 1999, des micro-potagers ont vu le jour à Dakar. Ce projet, lancé par la FAO et le Gouvernement du Sénégal, a permis de réduire la pauvreté des ménages défavorisés en leur fournissant des légumes et quelques revenus issus de la vente des surplus de production. Mais on peut observer des situations similaires dans les pays « riches » : le cas de Détroit, dans le Michigan, est tout à fait probant. Capitale mondiale de l’automobile, Détroit a accueilli les prestigieuses usines Ford, Chrysler et General Motors. Son économie est quasi exclusivement basée sur ce secteur et la population de la ville ne cesse de croitre jusqu’en 1950, où elle atteint les 1 850 000 habitants. Une économie florissante qui s’étiolera peu à peu avec les nombreuses délocalisations, avant de s’effondrer complètement en 2008 (la crise est à l’origine de la suppression de 400 000 emplois). Aujourd’hui, la ville compte à peine 800 000 habitants, dont plus de la moitié est au chômage. L’agriculture urbaine est donc apparue comme un moyen indispensable à leur survie, d’autant plus que le démantèlement des usines automobiles et l’abandon des habitations individuelles a libéré de larges espaces. Nombre d’initiatives émergent ainsi dans le courant du « Do it yourself » et la ville est à présent envahie de potagers. Cela permet aux habitants d’être indépendants des systèmes de distribution auxquels ils n’ont plus accès du fait de leur extrême pauvreté, et cette nouvelle industrie verte crée même de nouveaux emplois.

Bien sur, il s’agit ici de cas extrêmes, rien de comparable en France… Cependant, la question de l’autonomie alimentaire de nos villes ne doit pas pour autant nous laisser indifférent. Selon un article de Florence Leray paru dans Rue89 (1), les villes françaises ne disposeraient en moyenne que de 3 jours d’autonomie alimentaire. Au-delà, en cas de crise pétrolière et de non réapprovisionnement par transport, les citadins n’auraient plus accès à des produits frais. C’est une situation dans laquelle on a du mal à se projeter, mais une perspective de société post-pétrole, c’est dès à présent que les mesures de relocalisation des productions agricoles doivent être prises. Cependant, malgré les initiatives émergentes et les volontés politiques des collectivités, les villes ne pourront jamais être totalement autosuffisantes. En l’état actuel des techniques et des moyens, il n’est pas possible de l’envisager. L’autonomie peut être atteinte à l’échelle d’une région urbaine, d’où l’intérêt de renforcer l’agriculture périurbaine et de penser le territoire en terme d’écorégion. Le principe d’écorégionalité, développé par Emmanuel Bailly consiste consommer un produit écologiquement, de façon responsable et économiquement viable conçu ou transformé à proximité son lieu de production.

  • Quelle rentabilité d’une culture en petite surface ?
L’agriculture en ville suscite aussi beaucoup de scepticisme en ce qui concerne sa rentabilité économique, principalement parce qu’elle est forcément cantonnée à de petites surfaces. Néanmoins, les petites surfaces peuvent produire beaucoup de produits, dans la mesure où l’espace planté est rentabilisé au maximum. Un hectare peut nourrir une centaine de personnes en fruits et légumes. A produit égal, l’agriculture urbaine serait sans doute plus productive que l’agriculture de campagne, proportionnellement à la surface qu’elle occupe. A titre d’exemple, les abeilles produisent deux fois plus de miel en ville qu’à la campagne, et celui-ci est de meilleure qualité. Une comparaison de la rentabilité entre agriculture de campagne et agriculture de ville n’aurait d’ailleurs pas beaucoup de sens, dans la mesure où l’agriculture des campagnes française n’est pas rentable de toute façon, et ne survie que grâce aux aides de la Politique agricole commune (PAC) européenne. En outre, les récoltes des cultures urbaines sont faites manuellement, et non pas de façon mécanique. Si cette méthode demande plus de main d’œuvre, elle permet d’éviter au maximum les pertes. L’agriculture urbaine en générale, par la prise de conscience qu’elle suscite chez les citadins, entraine une gestion « sobre » de notre alimentation et de nos modes de consommation, contribue à changer nos habitudes et limite le gaspillage alimentaire. Les économies réalisées, difficilement chiffrables, sont un coût à prendre en compte.

La question de la rentabilité se pose surtout parce que les légumes produits en ville dans les mouvements émergeants n’ont pas vocation à être vendus, mais consommés par leurs producteurs ou, la plupart du temps, donnés. Si on raisonne en termes économiques purs et durs, l’agriculture urbaine telle qu’elle peut être pratiquée à Paris, par exemple, ne génère pas de profit. Cependant, le bénéfice social est important : cela crée du lien, améliore la qualité de vie et la nutrition. Il s’agit donc d’un investissement sur le bien être où, là encore, les effets se calculent en économies faites (en soins médicaux par exemple). Cependant, il faut a un moment financer les initiatives pour que celles-ci soient pérennisées, et pas seulement éphémères. Mais à qui appartient cette charge ? On constate que les expériences d’agriculture urbaine qui fonctionnent aujourd’hui sont celles qui sont autofinancées. Les associations d’aide à l’accès au foncier, comme Terres de liens, font appel à une épargne privée. La place du politique est à redéfinir mais, pour les collectivités, ces expériences urbaines ne sont qu’une dépense, plus couteuse que les espaces verts classiques, et ne constituent pas une priorité (notamment électorale). L’agriculture urbaine n’en est encore qu’au stade de la prise de conscience chez les citoyens, et de l’effort chez les politiques. Et pourtant, développer ce secteur d’activités ne pourrait avoir un effet que bénéfique pour les villes pour toutes les raisons indiquées dans l’article précédent. Un des défis du développement durable est de promouvoir une économie responsable conciliant viabilité d’un projet et principes éthiques liés à la préservation des ressources environnementales et à la création de lien social. L’agriculture urbaine concilie tous ces éléments et permet la transition vers une ville (et un mode de vie en général) plus durable.

Puisque réfléchir sur l’agriculture urbaine amène nécessairement une réflexion sur notre façon de s’alimenter et de penser le système de production et de distribution à l’échelle globale, la question du modèle économique actuel et sa remise en cause se pose alors. L’agriculture en ville s’inclut dans un modèle de  consommation collaborative qui fait aujourd’hui ses premiers pas.  
(1) http://www.rue89lyon.fr/2012/05/18/lyon-agriculture-portes-ville-est-elle-possible/ 

Pour aller plus loin :
•    Le reportage « Detroit passe au vert ! » sur la reconversion de la ville par l’agriculture urbaine
•    Sur les questions de souveraineté, vers l’ouvrage de Frédérique Basset  Vers l’autonomie alimentaire, Éditions Rue de l’échiquier.
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