Eco-quartiers.fr - Le blog - Octobre 2015 - Les bâtiments performants sont-ils générateurs d’inconfort psychologique ?

Ce billet aborde la notion d’inconfort psychologique, identifiable dans le discours de certains locataires du logement social venant d’emménager dans une habitation performante. Le confort : une notion complexe et polysémique Le confort est la plupart du temps évoqué sous son acception...

Les bâtiments performants sont-ils générateurs d’inconfort psychologique ?

Ce billet aborde la notion d’inconfort psychologique, identifiable dans le discours de certains locataires du logement social venant d’emménager dans une habitation performante.

Le confort : une notion complexe et polysémique

Le confort est la plupart du temps évoqué sous son acception moderne, caractérisé notamment par le progrès technique et renvoyant à une forme de bien-être matériel, qui repose sur la possession d’objets et d’équipements électriques. Pour les habitants, le confort renvoie également à la création et à la gestion d’ambiances intérieures personnalisées (température de confort, décoration, ameublement, odeurs…). Sociologiquement le confort est un ressenti et une perception construit sur des représentations individuelles et collectives, sur des normes sociales et techniques. Le confort peut aussi être abordé dans une conception davantage psychologique et morale. Ainsi, le confort psychologique fait référence à un état de tranquillité d’esprit, de bien-être moral et de rejet de toutes préoccupations. Il s’agit d’assurer le bien-être et la tranquillité de l’esprit qui se caractérise par un équilibre entre un excès de préoccupations générant du stress et des inquiétudes et un excès de tranquillité, qui peut être considéré comme nuisible à la vitalité spirituelle et psychique.
Cette forme d’inconfort a été identifiée lors d’entretiens réalisés auprès de locataires du logement social, habitant des maisons neuves, réceptionnées fin 2013, et censées être très performantes énergétiquement. Dans ce billet, nos propos concernent uniquement le terrain sur lequel nous avons enquêté et ne prétendent donc pas à une généralisation, bien au contraire.

Comment émerge le sentiment d’inconfort psychologique dans les bâtiments performants ?

L’inconfort psychologique des habitants se manifeste essentiellement au regard de deux aspects. Le premier concerne les attentes du bailleur social (en tant que maître d’ouvrage), notamment celles en lien avec le souhait de mener une opération démonstrative (enjeux de médiatisation) et exemplaire (enjeux de performance énergétique). Le second aspect est lié à la présence d’un dispositif d’instrumentation des logements (mesure des consommations, de la qualité de l’air…), parfois perçue comme une intrusion dans la vie privée.

Le bailleur attend des locataires qu’ils jouent pleinement le jeu de
la performance énergétique en adoptant des pratiques de sobriété
énergétique

Les attentes du bailleur : entre enjeux de médiatisation et enjeux de performance énergétique
L’inconfort psychologique provient essentiellement de certaines attentes du bailleur social qui émanent de sa volonté de mener une opération démonstrative et exemplaire. Nous sommes dans le cas typique de ce qu’on appelle un « bâtiment vitrine » (vitrine d’un savoir faire, de l’efficacité énergétique des modes constructifs et des dispositifs techniques…). Ces bâtiments sont le plus souvent issus d’appels à projets régionaux (1) qui imposent des objectifs de performance énergétique et de suivi de cette performance souvent plus ambitieux que les réglementations en vigueur.
La dimension démonstrative de l’opération a pour objet des objectifs de médiatisation qui se traduisent par l’organisation de visites des logements par exemple. Pour pouvoir le faire, le bailleur social doit s’assurer que les habitants ne s’y opposeront pas. Ainsi le bailleur a fait signer aux locataires une charte de partenariat dans laquelle une des closes est de laisser libre-accès au logement pour pouvoir le faire visiter. Précisons que le bailleur s’engage à prévenir les locataires suffisamment en avance. Cet close génère de l’inconfort psychologique puisque parfois les locataires expliquent avoir le sentiment de ne pas se sentir chez eux. Ils n’apprécient pas toujours de devoir ouvrir leurs espaces intimes à des inconnus. Ils ont à la fois des craintes (vols, casses…) et des interrogations (qui fait le ménage une fois que les visiteurs sont partis ?). Ils peuvent avoir l’impression d’être des habitants/cobayes que l’on vient voir dans un logement/laboratoire.
La dimension exemplaire de l’opération concerne des enjeux liés à la performance énergétique des bâtiments. Ainsi, le bailleur a de fortes attentes en termes de comportement à adopter par les occupants. Le bailleur attend de ces locataires qu’ils jouent pleinement le jeu de la performance énergétique en adoptant des pratiques de sobriété énergétique (écogestes…). Ces attentes sont formulées à la fois d’une manière directe (à l’oral, en face à face) et d’une façon indirecte, traduites dans des documents « officiels » (charte de partenariat, d’engagement, guide du logement…). Cette démarche contribue à exercer une forme de pression sur les locataires et peut se traduire parfois, notamment lors de surconsommations (estimées et constatées par le bailleur) par des actions correctives et des conseils de la part du bailleur social.

Les dispositifs d’instrumentation comme intrusion dans la vie privée
L’inconfort psychologique s’exprime aussi sur notre terrain par la présence dans les logements de capteurs et de sondes. Les logements étudiés sont équipés d’un dispositif d’instrumentation permettant de mesurer la température des pièces, le taux de CO2, celui d’hygrométrie, les consommations d’énergie… Avec ces informations, il est possible de reconstituer assez finement les pratiques énergétiques des locataires, leurs modes de vie et d’habiter. Par exemple, la mesure du taux de CO2 dans une pièce renseigne sur de nombreux éléments et dont le nombre de personnes présentes, les temps et les moments d’ouverture des fenêtres…L’inconfort psychologique se manifeste alors par un sentiment d’intrusion dans la vie privée des locataires qui peuvent se sentir surveiller et épier. Cet inconfort s’accentue dès lors que les locataires ne savent pas précisément ce qui est mesuré et surtout qui a accès aux données et pour quoi faire. Les dispositifs d’instrumentation peuvent être vécus et perçus comme intrusifs et participent à créer un sentiment d’inconfort psychologique.

Que pouvons-nous retenir de cette observation terrain ?
Le caractère démonstratif et exemplaire des bâtiments vitrines conduit à des attentes fortes du bailleur social qui pour les satisfaire a besoin d’emporter l’adhésion des locataires au programme. Par ailleurs le suivi énergétique des bâtiments, rendu obligatoire par les appels à projets, entraîne la mise en place de dispositifs d’instrumentation qui s’immiscent dans la vie privée. Au final, les enjeux liés à ces bâtiments vitrines mettent à contribution et contraignent des locataires qui ne demandent qu’à vivre confortablement chez eux. Les aspects expérimentaux, innovants et performants de cette « opération vitrine » génèrent donc des conséquences pour les locataires qui en retour éprouvent de l’inconfort psychologique.

(1) portés conjointement par les Régions et l'ADEME
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