Eco-quartiers.fr - Le blog - Avril 2015 - L’espace public comme une ressource des communs ou comment l’habiter interroge ce concept ?

Écrire un article sur les communs, c’est assez exaltant. Ce concept, déjà beaucoup étudié aux États-Unis et au Canada, a quelque chose de pétillant. Travailler sur les communs, c’est d’abord émettre une critique de la société néolibérale, mais c’est surtout mettre les bonnes...

L’espace public comme une ressource des communs ou comment l’habiter interroge ce concept ?

Écrire un article sur les communs, c’est assez exaltant. Ce concept, déjà beaucoup étudié aux États-Unis et au Canada, a quelque chose de pétillant. Travailler sur les communs, c’est d’abord émettre une critique de la société néolibérale, mais c’est surtout mettre les bonnes lunettes pour voir les « utopies concrètes » qui s’inventent au quotidien et nous donnent de l’espoir pour notre futur commun. Je ne vais pas vous faire une synthèse des études menées sur le sujet, mais plutôt comprendre comment l’espace public peut être analysé à l’aune des communs, comment certaine personnes défendent l’espace public comme une ressource naturelle.
Une interprétation contemporaine des communs ?

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Le sentiment ou le fait d’habiter est à la fois une perspective pragmatique, c'est-à-dire comme l’action de pratiquer un ensemble de lieux géographiques (Werlen, 1996, Stock, 2004), et une perspective relationnelle, c'est-à-dire que les habitants « font avec l’espace » (Lussault, Stock, 2010) pour initier, réguler, négocier les relations.
Les communs sont des espaces, des lieux, des ressources ou encore des savoirs, des cultures ou des valeurs, qui sont partagés, spontanément et consciemment par une communauté de personnes. Les communs se créent en réaction à un environnement ; ils peuvent être liés à un phénomène de mécontentement, à un désir de réappropriation ou à l’émergence d’un « bon sens » collectif.
Comment les communs peuvent-ils enrichir cette définition de l’habiter ?
Ils sont ici à considérer comme :
  • Un système social pour gérer de manière responsable des ressources ;
  • Un système auto-organisé grâce auquel les communautés gèrent les ressources de manière indépendante de l’Etat ou du marché;
  • Une richesse héritée et créée ensemble qui doit être transmise intacte ou augmentée aux générations futures;
  • Un secteur de l’économie qui créé une valeur comme « allant de soi».
un commun = une ressource + un collectif défini + des protocoles + des normes et des valeurs pour gérer la ressource.
De manière générale, les communs se fixent sur une petite échelle et sont constitués autour de ressources naturelles. Cette interprétation convient pour appréhender quelques pratiques d’habiter que l’on définit comme rusées (voir dernier article sur les ruses ici) .

Toutefois, les communs ne sont pas toujours constitués autour d’une ressource naturelle. Ce qui anime les collectifs étudiés n’est pas la préservation d’une ressource épuisable, mais la volonté d’accroitre le cadre de vie sur leur territoire, à la fois chez eux, mais également dans l’espace public et donc entre eux.

L’émergence de communs rusés

Une multitude de communs participent directement à accroitre l’habitabilité d’un territoire. Ils font partie de la famille des « communs sociaux et civiques » de David Bollier (La renaissance des communs, 2014). Un grand nombre d’entres eux tournent autour des questions alimentaires et plus particulièrement ce que nous nommons le jardinage de proximité. A côté du grand marché de l’alimentation, tout un réseau d’habitants inventifs, d’entrepreneurs créateurs, d’agriculteurs artistes s’organisent en collectif pour montrer qu’une autre manière de considérer la terre et les produits alimentaires est possible.
Ces exemples reflètent le yin : l’homo economicus, du yang : l’homo sociabilis

Ce mouvement englobe les guerillas gardenning, les incroyables comestibles, les seed bombing, les sérials greffeurs, etc. Ici, les habitants jardiniers utilisent la terre comme un outil de résistance ordinaire. Ces collectifs ont une forme d’organisation sociale propre, parfois en association, et comme point commun l’action de décider ensemble. Ces exemples reflètent le yin : l’homo economicus, du yang : l’homo sociabilis. L’homo economicus, comme l’homo sociabilis, agissent pour leurs intérêts personnels, mais chez le second, il n’est pas le seul. Il a besoin de sociabilité, de partage et sait faire preuve d’altruisme.

Parmi les pratiques rusées d’habiter , certains comportements collectifs sont hors des normes sociales individualisantes. L’ensemble de notre collection de ruses  et de tactiques questionne le lien qu’il existe entre l’action et le lieu où elles se fixent. Une partie de la réponse peut potentiellement s’expliquer grâce à la théorie des communs (Bollier, 2014).
L’espace public comme une ressource ?
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L’espace public peut-il être une ressource des « communs », à la manière de Bollier ? Ne sommes-nous pas en train de voir émerger des individus qui souhaitent protéger l’espace public, qui ont une volonté d’en faire autre chose et qui créeraient une nouvelle manière de faire avec cet espace ? Étudier l’espace public sous l’angle des communs permet de porter de nouvelles lunettes pour voir les formes d’habiter qui s’inventent au quotidien.

L’espace public est de plus en plus hacké, transformé, remodelé par des collectifs d’habitants issus de la société civile.   L’étude de ces tactiques et de  ces ruses, montre que ces nouveaux usages inventifs de la ville « protègent » d’une certaine manière l’espace public. Son aseptisation et son homogénéité, ne conviennent pas à tout le monde, et certains ont besoin de faire autrement. Il semblerait  que certains tacticiens du quotidien soient animés par un besoin de concevoir les espaces publics comme un « espace naturel de vie » (Florian Rivière, 2012, interview ici)

Des individus voient dans ces nouveaux espaces publics une perte de liberté liée à un besoin de sécurité, ou d’économie. Pour les protéger, des gens se les réapproprient par du jardinage de proximité,  par  des jeux urbains (le streetworkout, le golf de rue, etc.), en rendant le quartier plus vivant (les givebox, les trocs de presse, etc.), ou encore en réalisant une sorte de rénovation urbaine (le mobilier urbain éphémère, les arceaux à vélo faits de bric et de broc, etc.). Ces usages dans, et avec, l’espace public dévoilent une nouvelle forme d’appropriation, très proche des communs si nous analysons les motivations des bricoleurs.
Mais aujourd’hui, les urbanistes et les aménageurs ont peu d’ingénierie adaptée pour gérer ces systèmes d’actions. Certaines communes, comme Grenoble, ont instauré des politiques pour encadrer des communes :
  • Grenoble propose des baux aux habitants qui s’engagent à cultiver ou à fleurir un espace de terre (un pied d’arbre, un bac de fleurs, etc.).
  •  Le service voirie de Lyon, autour de Saxe Gambetta, propose aux habitants de casser une petite partie du trottoir devant les immeubles et permettre aux habitants de verdir cet espace.
Ces deux exemples, perçus comme des signaux faibles, reflètent qu’une nouvelle forme d’ingénierie s’invente dans les métropoles, qui est encore à son liminaire.
Et donc une tactique est un commun ?
Si on continue de filer notre hypothèse, pouvons-nous dire que les tactiques sont une forme de commun ?
Si l’espace public est parfois une ressource, si des collectifs s’organisent avec des valeurs et des normes pour s’approprier et défendre cette ressource, alors nous pouvons potentiellement dire que certaines tactiques sont des communs…
Mais ce syllogisme n’est qu’à moitié juste.
Certaines, car en effet, ce n’est qu’une modeste partie des tactiques qui intègre les communs. D’autres n’ont aucune ambition de défendre de l’espace public, mais d’économiser des ressources financières, gagner du temps, ou parfois perdre du temps, ou simplement échanger avec l’autre. Cet article ouvre la question suivante : et si habiter n’était pas, parfois, faire du commun ?

 
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