Eco-quartiers.fr - Le blog - Mai 2013 - Il faut cultiver notre jardin urbain (5/6) Rencontre avec Nicolas Bel, le jardinier des toits de Paris

Cultiver sur les toits apparait être LA solution à l’agriculture urbaine de nos jours. C’est en tout cas ce qu’essaye de développer, avec succès, Nicolas Bel, professeur en Math Sup et initiateur du projet Topager. Voilà maintenant un an que lui et son équipe ont investi les toits...

Il faut cultiver notre jardin urbain (5/6) Rencontre avec Nicolas Bel, le jardinier des toits de Paris

Agriculture sur les toits N. Bel
Cultiver sur les toits apparait être LA solution à l’agriculture urbaine de nos jours. C’est en tout cas ce qu’essaye de développer, avec succès, Nicolas Bel, professeur en Math Sup et initiateur du projet Topager. Voilà maintenant un an que lui et son équipe ont investi les toits d’Agro Paris Tech dans le 5e arrondissement. Il a accepté de répondre aux questions d’eco-quartiers.fr.
  • Expliquez nous en quelques mots ce qui vous a amené à faire des toits d’Agro Paris Tech un vaste potager urbain.
Au départ, j’étais très attiré par le biomimétisme, donc ça m’a amené à faire des conférences et mener des formations dans ce domaine. Il y a toute une thématique très intéressante qu’est le biomimétisme des écosystèmes, avec la vision de Janine Benyus, dans laquelle on trouve trois aspects :
•    L’agriculture, le fait d’imiter les écosystèmes naturels, et tout le champ de d’agro-écologie ;
•    Le fait de créer des boucles locales très courtes, en valorisant les déchets en ressources directement sur place ;
•    Tout ce qui concerne les services écosystémiques.
Partant de ces trois idées là, je me suis intéressé à l’agriculture urbaine, en particulier sur les toits. Je me suis aperçu que tout ce qui se faisait au Canada, aux Etats-Unis ou ailleurs, ça utilisait des produits qui n’étaient pas forcément durables, notamment de la tourbe (la tourbe est ce qu’on utilise pour faire le terreau actuellement, ce sont des écosystèmes qui sont très fragiles, ça vient de loin).  Sinon, il y a l’hydroponie qui utilise soit de la fibre de coco soit de la laine de roche, et c’est là encore un milieu environnemental assez lourd. Du coup, je me suis demandé si c’était possible de cultiver uniquement sur des matières organiques de la ville ; c'est-à-dire le broyat de bois et le lombricompost, qui sont les deux plus abondantes. Avec un ami, Nicolas Marchal, nous avons au l’idée de cultiver sur les toits en utilisant les déchets locaux et en imitant les écosystèmes, en essayant de recréer un véritable écosystème dans un sol, en rajoutant des vers de terre, du mycélium de champignons, etc. Et donc, nous sommes venus voir Agro Paris Tech pour leur demander si ça les intéressait et c’est comme ça qu’ils nous ont prêté leur toit et nous nous sommes installés.
Le canada et les USA m’ont beaucoup inspiré pour ce qui est des innovations sociales ou commerciales. A New-York, ils cultivent sur des surfaces de 4000m² où ils vivent vraiment de l’agriculture sur les toits, comme à Brooklyn Age, par exemple. Au niveau production et aspect social, les Etats-Unis et le Canada sont très innovants. Par contre, ils ne le sont pas du tout au niveau des substrats, des terreaux dans lesquels ils cultivent. Nous, la vraie innovation qu’on apporte c’est à ce niveau là. Au lieu de cultiver sur des produits qui sont chers et pas très écologiques, on propose aux gens de cultiver uniquement sur des déchets qui viennent de leurs immeubles, de la rue qui est à coté.
On cultive des salades, des tomates, des mûres, des  framboises, des  fraises, des  groseilles à maquereaux, du cassis, des poires, des pommes, des cerises, des prunes, des épinards, de la mâche, des radis… Il y a une partie du potager qui est un peu mon petit domaine, une partie où l’on produit pour des expériences de l’INRA, une partie est sacrifiée pour les analyses (on en fait beaucoup, des analyses de pollution, de teneur en nutriments), et le reste, on le donne.
  • En quoi cultiver en ville est pour vous une nécessité ?
Il y a vraiment plein de bonnes raisons pour pratiquer l’agriculture urbaine. Si on veut vraiment être terre à terre, la première raison de cultiver en ville, c’est la fraicheur des produits. Tout ce qui est herbes aromatiques, basilic, persil, etc., cela se dégrade très vite, si vous les cueillez le matin et que vous dégustez dans la journée c’est beaucoup mieux. Les premières personnes qui sont venues nous voir qui on été intéressées par notre projet, ce sont les grands chefs. Ce ne sont  pas les architectes, ni les associations, mais les chefs. L’aspect fraicheur est donc très important. Ensuite, on a un étalement urbain qui est assez fort. Tout ce qu’on construit aujourd’hui comme lotissement, comme immeubles, etc. autour de Paris, on le fait au détriment des terres agricoles. Pour l’instant, on arrive à ce nourrir sans trop de problèmes parce qu’on utilise beaucoup d’engrais chimiques, ces engrais chimiques utilisent des ressources qui, pour certaines, ne sont pas renouvelables, comme par exemple le phosphore, qui est extrait de mines, et dont on estime que le pic arrivera assez rapidement. Donc là il y a une grande problématique, pour se nourrir plus tard, parce qu’on aura besoin peut être de plus de terres parce qu’on aura moins d’engrais chimiques. J’aime montrer dans mes conférences c’est une photo des jardins du Louvre en 1943 : il était transformé en jardin potager. Les allemands avaient réquisitionné l’essence, les moyens de transports ; du coup les gens n’avaient plus accès à des produits frais, le seul moyen était donc de cultiver dans des parcs. Depuis 1943, il y a eu beaucoup d’étalement urbain, donc ça devient de plus en plus difficile de s’approvisionner. Imaginons que bientôt il y ait une pénurie de pétrole, le peu qu’on aurait réussi à développer en agriculture urbaine servira pour la fonction alimentaire.
Et après, les jardins en ville, ça peut apporter énormément de choses : les jardins partagés, pas mal d’études montrent que c’est créateur de lien social. Ça permet aussi d’éliminer les déchets parce que nous on consomme beaucoup de compost. Les déchets organiques, c’est un tiers des déchets que l’on jette. C’est donc intéressant d’un point de vue économique, car à Paris, une tonne de déchets c’est 70€ à incinérer, avec les pollutions qui vont avec, et puis ça veut dire pas de camions poubelles.

  • Quelles sont les contraintes (techniques et concernant la pollution) à la mise en place d’un tel projet ?
On fait des cultures dans des bacs sur les toits, là, on a eu de la chance, il y avait des points d’eau. Le fait de prévoir, dans n’importe quel plan de construction de pouvoir aussi cultiver sur un toit, ce serait assez important.
C’est vrai que la question de la pollution est très importante. Beaucoup de gens sont freinés par ça, d’autant plus que ça a été très peu étudié. Il y a quand même quelques études qui sont sorties. Je vous le résume un peu : il y a beaucoup de produits qui sont toxiques pour nous, comme par exemple l’ozone (on parle beaucoup des pics d’ozone, il faut ralentir la circulation à cause de ça), mais ce n’est absolument pas un élément toxique qui peut être stocké par les plantes. Ça atteint les voies respiratoires mais pas les plantes. Ensuite tout ce qu’on appelle les hydrocarbures aromatiques polycycliques (ce qui provoque les dépôts un peu noirs qu’on a parfois sur les balcons), ce genre de produits va être dégradé dans le sol, donc si on lave bien les feuilles, y’a pas de problèmes. Le danger va venir de ce qu’on appelle dans le langage commun les métaux lourds, comme le plomb. Ça c’est vraiment dangereux, et s’accumule. Mais nous avons fait pas mal de tests sur les toits d’Agro Paris Tech et on est tombés sur des taux très faibles.

  • Quels sont vos projets pour l’avenir ?  
Pour le moment, le projet d’Agro Paris Tech est le seul qui est opérationnel. Après j’ai développé un potager sur le toit de la mutualité, qui alimente directement un restaurant au rez-de-chaussée. Leur concept à eux c’est vraiment de faire vivre les espèces locales, qui ont été oubliées : le chou de Pontoise, le pissenlit de Montmagny. On récupère aussi les graines qu’on installe sur le toit, on a donc un aspect conservation et démonstration du potentiel des variétés locales. Et puis ce qu’on cultive aussi dans ce projet c’est que ce qui est sur le toit est directement consommé au restaurant. Monter les expériences, ça prend quand même beaucoup de temps, l’aspect scientifique demande beaucoup de rigueur. Moi je ne suis pas du tout un commercial, j’ai un 2e travail à coté, donc je fais tout ça bénévolement. Nous on réalise, et on parle après : on ne fait pas de communication sur les expériences d’Agro Paris Tech tant qu’on n’a pas eu les premiers résultats. On a trop de projets déjà, on a un peu du mal à suivre. Déjà ce qu’on a fait là, on est très impressionné, on ne pensait pas que ça irait aussi vite !

Pour en savoir plus :
Le site de Nicolas Bel : http://topager.com/
La présentation en vidéo par Le Monde
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