Eco-quartiers.fr - Le blog - Septembre 2012 - L’éco-quartier, un projet social abstrait éloigné des usages ?

Contrairement aux communautés écologiques pionnières et militantes (années 70/90) ainsi qu’aux premiers écoquartiers nord-européens pilotés par les collectivités lors de grands évènements médiatiques (milieu des années 90), les écoquartiers français relèvent de l’intégration...

L’éco-quartier, un projet social abstrait éloigné des usages ?

Contrairement aux communautés écologiques pionnières et militantes (années 70/90) ainsi qu’aux premiers écoquartiers nord-européens pilotés par les collectivités lors de grands évènements médiatiques (milieu des années 90), les écoquartiers français relèvent de l’intégration progressive des préceptes de la ville durable au sein des modes de production ordinaires de l’urbain (années 2000). A ce titre, ils consistent à fabriquer dans un cadre à la fois émancipé du militantisme et de l’expérimentation, de nouveaux aménagements (espaces verts rustiques, voiries douces, etc.) et de nouvelles constructions (isolation par l’extérieur, ventilation double-flux, sols écologiques, etc.) en adéquation avec les principes de durabilité.
Cette tentative de généralisation de techniques innovantes au sein de la fabrication urbaine française s’accompagne alors d’une myriade de dispositifs éducatifs à destination des travailleurs du projet et futurs habitants du quartier. Dans les logements sociaux, ces outils prennent par exemple la forme de guides pédagogiques, de séances d’accueil, de réunions semestrielles, ou encore d’interventions accrues des acteurs de proximités du bailleur auprès des locataires. Ils consistent à inculquer aux différents publics ciblés les nouveaux savoir-faire et savoir-vivre nécessaires à la mise en œuvre et au fonctionnement des techniques écologiques. En ce sens, les usages sociaux des travailleurs et habitants, c’est-à-dire leurs habitudes, posent problème à ceux qui fabriquent les écoquartiers. Ce problème traduit la distance entre d’une part la figure imaginaire de l’usager escomptée par la fabrication et de l’autre la réalité des pratiques sociales régulées par les usages. Il indique le caractère socialement subversif de la production d’innovations techniques écologiques et par là même l’existence de nouvelles attentes sur les pratiques sociales.

Ces nouvelles attentes sociales que sous-tend la fabrication de nouveautés techniques écologiques mettent en forme à la fois une figure de l’usager des aménagements et une nouvelle représentation de l’habitant. Ainsi, sur les espaces publics des écoquartiers, l’usager est imaginé dans des activités d’apprentissage (découverte du terroir), de repos (délectation des paysages bucoliques), de divertissement (jeux champêtres) et de loisirs (pique-nique et ballade champêtre). Pour reprendre le vocable de la philosophe H. Arendt, il met donc exclusivement en scène sur un mode champêtre et bucolique des registres de la vie humaine (éducation, jeux, loisirs, détente) nécessaires à la reproduction du monde et de la vie sociale, autrement dit des types de pratiques qui à la fois précèdent et excluent toute oisiveté, dissidence et activité politique.

Concernant l’habitat écologique, la représentation de l’habitant ne forme pas un projet social cohérent mais prolonge plutôt – à l’image des ingénieurs environnementaux dominants à la conception – des principes hygiénistes hérités du XIXe siècle tels le mythe de l’air sain dans le domaine de la propreté ou la rupture entre l’architecture et les foyers de chaleur dans le celui du chauffage. Ainsi, pour illustrer, la diminution du rôle des radiateurs dans l’habitat écologique, en raison du rayonnement des grandes masses (murs et planchers), prolonge la rupture entre l’architecture et la feu amorcée par les jardiniers de la renaissance, théorisée par J. Bentham (1787) et popularisée par les thèses hygiénistes du XIXe siècle qui défendent alors le contrôle systématique de la température ambiante dans les logements.

Dans la vie quotidienne des usagers, ce projet social est contrarié par le face-à-face entre innovations techniques et habitants qui tourne au duel. En effet, ces derniers rusent, contournent et bricolent les nouveautés techniques en raison du problème qu’elles posent pour habiter. Ce problème s’explique par les ruptures entre innovations techniques et usages sociaux. Ces ruptures ne sont pas systématiques mais partielles et situées, c’est-à-dire s’expriment sur certaines règles d’usage dans des situations particulières. Par exemple, la nouvelle façade végétalisée du bâtiment écologique Le Pallium (De Bonne, Grenoble) pose problème aux habitants, mais uniquement lorsqu’elle pénètre l’espace de vie du balcon. En ce sens, que ce soit par l’intermédiaire des feuilles qui tombent, des petites bêtes qui s’installent, ou plus simplement visuellement, la façade végétalisée est largement représentée comme envahissante à partir du moment où elle franchit le seuil de l’espace de vie privée de l’habitant. Dans cette situation, la façade renvoie l’image d’une nature sauvage, inquiétante, alimenté par les phobies (insectes, araignées) et majoritairement menaçante au regard de la représentation protectrice que se font les usagers de leur logement. En ce sens, les foyers enquêtés reconstruisent régulièrement les frontières de leur habitat, que ce soit par la taille du lierre en bordure du balcon, l’utilisation des insecticides ou encore de manière plus marginale par le détournement du système d’arrosage afin de ralentir la croissance des plantations.

Pour conclure, cette situation de production des écoquartiers français du début des années 2000 rappelle tout particulièrement celle des grands ensembles des années 50/70. Elle reproduit au nom de la durabilité ce que les grands ensembles imaginaient au nom de la modernité : un projet social abstrait, qui ne vise pas à s’ajuster aux usages sociaux mais à les subvertir afin de renouveler une offre en nouveaux objets exigée par le système économique actuel de production. En effet, comme l’a montré Joseph Schumpeter dans son ouvrage capitalisme, socialisme et démocratie, l’offre en nouveaux objets techniques (innovations) est inhérente à la reproduction de l’économie capitaliste, c’est à dire à son mythe de croissance infinie. En élargissant les branches de production, elle renouvelle les possibilités d’écoulement de biens fabriqués et par là même tend à surmonter la saturation des besoins et de la demande. En ce sens, la promesse actuelle de « l’homme durable » dans les écoquartiers, encastrée dans les usages économiques dominants, succède à celle de « l’homme moderne » des grands ensembles.
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